Togo/Covid-19 : Quelles mesures pour protéger efficacement les droits des détenus ?
La situation dans les lieux de détention pendant cette crise sanitaire due au coronavirus au Togo préoccupe différents acteurs au plan national comme international. La question qui revient régulièrement est de savoir comment protéger efficacement les droits de ces détenus face à la pandémie. Dans une interview, Philippe PLAGBE, analyste chercheur au Centre de Documentation et de Formation sur les Droits de l’Homme (CDFDH) propose des pistes.
1-La situation des détenus au Togo, en cette période de Covid 19 est-elle aussi préoccupante qu’on le dit ?
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les prisons et autres lieux de détention sont des zones à risque pouvant faciliter la propagation de la Covid 19 et cela pour plusieurs raisons dont la surpopulation, la précarité des conditions d’hygiène et l’accès limité à des soins médicaux appropriés pour les détenus.
Ces facteurs se retrouvent dans les prisons du Togo où ils ont été relevés à plusieurs reprises par le CDFDH et d’autres structures lors de leurs actions de monitoring dans les lieux de détention. Différents mécanismes internationaux des droits de l’homme ont également fait le même constat. Il s’agit par exemple du Comité contre la torture des Nations Unies, à l’occasion notamment de l’examen du Togo en Juillet 2019, qui après les avoir relevés ces facteurs a formulé entre autres recommandations la fermeture de la prison civile de Lomé.
Il ne faut pas non plus oublier qu’après un dépistage qui a été réalisé sur tous les détenus, en Juin 2020, on dénombrait plus de 150 cas de contaminations; selon le directeur de l’administration pénitentiaire. Il ne fait donc aucun doute, que les détenus font partie des personnes les plus vulnérables à la pandémie à la Covid 19 et doivent être au cœur de la riposte sanitaire.
2.Le gouvernement togolais, selon vous, a-t-il réellement pris la mesure de la situation ?
Il y a des mesures prises par le gouvernement togolais pour contrer la propagation de la pandémie dans les lieux de détention et dont on peut se réjouir. Entre autres exemples, on pourra relever :
-La libération de 1048 détenus y compris des mineurs sur toute l’étendue du territoire, intervenue le 1er avril 2020 par grâce présidentielle
-Les restrictions de visites dans les prisons, prises à partir du 13 avril 2020, et pour toute la durée de l’état d’urgence sanitaire, en vue de freiner la possible importation du virus du fait des visites.
-La réalisation de tests précoces sur les détenus : la décision de dépister tous les détenus faisait suite à la découverte des cas positifs au sein des nouveaux détenus mis en quarantaine à la prison civile de Lomé.
-L’amélioration de la ration alimentaire des détenus en période d’état d’urgence sanitaire, à raison de deux repas de qualité par jour, consécutive au prononcé des restrictions de visite du 13 avril.
-La tenue des audiences foraines dans les prisons et lieux de détention en vue de libérer les personnes détenues pour des infractions mineures.
3.Ces mesures suffisent-elles selon vous à maîtriser la pandémie dans les lieux de détention ?
Ces actions prises par le gouvernement bien que louables doivent être intensifiées voire élargies à d’autres champs pour réussir à protéger efficacement les droits des détenus, en cette période de crise sanitaire. Notre organisation à travers son réseau de défenseurs des droits de l’homme, le Réseau Watch, a d’ailleurs pendant le mois de Juillet collecté des informations dans 7 prisons civiles du Togo dans les cinq régions du Togo en vue d’évaluer les problèmes et de faire des contributions adéquates.Ce sont les prisons civiles de Dapaong, de Mango, de Kara, de Sokodé, de Kpalimé, d’Atakpamé, de Tsévié et de Lomé.
4.Quels sont les problèmes que vous avez relevés ?
Ils sont de divers ordres et peuvent se résumer comme suit :
-La surpopulation carcérale : 04 des 07 prisons objet de notre monitoring connaissent une surpopulation carcérale, un des facteurs principaux de propagation de la maladie à Covid 19. Il s’agit des prisons civiles de Dapaong, Sokodé, Atakpamé, Lomé ;
-L’absence de tests systématiques sur les détenus déférés : les nouveaux détenus déférés dans les prisons ne sont pas systématiquement testés à la Covid 19 ;
-L’absence dans certaines prisons de cellules d’isolement : sauf dans la prison de Dapaong, il n’y a pas de cellule d’isolement permettant de garder les nouvelles personnes déférées et s’assurer qu’elles ne sont pas contaminées.
-La quasi absence d’un suivi médical : Les détenus y compris ceux contaminés peinent à bénéficier d’un suivi médical approprié ;
-L’Insuffisance de mesures d’accompagnement à l’interdiction des visites : mis à part l’augmentation de la ration alimentaire, aucune autre mesure n’a été prise pour aider les détenus à supporter l’absence de visites de leurs proches ;
-La quasi absence d’assistance sociale et juridique aux détenus : Les Organisations de Défense des Droits de l’Homme éprouvent de grandes difficultés à suivre la situation des détenus et à leur apporter une assistance sociale et juridique en cette période de pandémie.
5.Que préconisez-vous alors pour prévenir et maîtriser la propagation de la pandémie dans les prisions et protéger au mieux les droits des détenus ?
Nous exhortons le gouvernement togolais, au-delà, des mesures déjà prises à :
-Prendre des mesures de grâces et d’amnisties, afin de libérer les détenus qui arrivent au terme de leurs peines,
-Suspendre l’emprisonnement des mineurs et des personnes vulnérables (personnes âgées, femmes enceintes…) et libérer ceux qui sont actuellement en prison ou à défaut prendre des mesures spécifiques pour leur protection contre la Covid 19 (isolement des autres détenus, un suivi médical régulier et une ration alimentaire consistante) ;
-Mettre en place des mesures alternatives (appels téléphoniques par exemple) permettant aux détenus de communiquer depuis leur isolement avec leurs familles ou proches,
-Augmenter la capacité de diagnostic et de suivi médical au sein des prisons et autres lieux de détention sur toute l’étendue du territoire,
-Rendre effectif le diagnostic médical systématique dès l’entrée en prison pour tous les détenus, en vue d’endiguer les possibilités contaminations,
-Assurer un suivi médical et social des personnes libérées,
-Définir un protocole sanitaire que les DDH doivent suivre pour mener leurs missions de monitoring et d’observation au sein des prisons et lieux de détention.
6.Un mot de fin ?
La pandémie de Covid 19 agit négativement sur plusieurs droits fondamentaux des citoyens dont ceux des détenus. Il urge de renforcer la prise en compte des droits des détenus dans les mesures de riposte non seulement pour éviter la propagation du virus dans les lieux de détention mais aussi parce qu’il est du devoir de l’Etat de préserver leur dignité et protéger leurs droits, notamment dans cette période critique de pandémie.