La protection des droits de l’Homme au niveau local : quelle responsabilité pour les collectivités territoriales ?
Où commencent les droits de l’Homme ? À cette question, Anna Eleanor Roosevelt a répondu : « dans les petites collectivités, près de chez soi, en des lieux si proches et si petits qu’on ne peut les voir sur aucune carte du monde ».C’est, en effet, dans la commune, dans le quartier, dans l’environnement personnel que chaque femme, chaque homme, chaque enfant aspire à la protection de ses droits. Il va sans dire que les droits de l’Homme n’ont de sens qu’au sein d’une collectivité et les individus qui les revendiquent sont toujours géographiquement situés.
Et pourtant, un examen des principales lois relatives à la décentralisation dans certains pays africains dont le Togo révèle que la notion de « droits de l’Homme » n’y est, pour ainsi dire, jamais employée. De nombreuses compétences ont été transférées aux collectivités territoriales. Parmi ces compétences ainsi dévolues, bon nombre ont un lien direct avec les engagements pris par les Etats au niveau international. Ainsi, lorsqu’un État délègue une partie de ses attributions à des autorités locales, il doit, conformément aux normes internationales des droits de l’Homme, s’assurer que celles-ci respectent et font respecter leurs obligations en la matière. Il doit aussi leur donner les moyens de le faire.
Attention, cette affirmation ne signifie pas qu’en décentralisant, l’État central se déleste sur les collectivités territoriales d’une partie de ses obligations en matière de droits de l’Homme. Elle signifie seulement que les collectivités territoriales ont des obligations découlant des droits de l’Homme et que ces obligations s’ajoutent à celles du gouvernement sans s’y substituer. Ainsi, si l’État central est le premier garant de ces droits, il n’en est pas le seul. Les organes onusiens de contrôle des droits de l’Homme le rappellent régulièrement. Dans son dernier rapport, le Comité des Nations unies pour l’élimination des discriminations raciales s’est ainsi dit préoccupé par les manquements des collectivités territoriales dans ce domaine et a demandé aux États de s’assurer que le transfert de compétences aux collectivités locales n’affecte pas la non-discrimination sur leur territoire.
Au regard de ces éléments, quelle est alors la responsabilité des collectivités locales dans la protection des droits de l’Homme ? Ou encore, comment les droits fondamentaux consacrés au niveau national ou international sont-ils appliqués au niveau local ?
Ceci nous amène a évoqué les fondements de la protection des droits de l’Homme par les collectivités locales et Le rôle des collectivités locales en matière de protection des droits de l’homme.
Le fondement de la protection des droits de l’homme par les collectivités locales
Une obligation morale ?
D’un point de vue théorique, la promotion des droits de l’Homme est un impératif moral qui ne s’adresse pas qu’aux seuls États. En principe, chacun est détenteur d’obligations, qu’il s’agisse d’un acteur étatique ou non étatique, d’un individu ou d’un groupe. Le préambule de la DUDH de 1948 dispose que « tous les individus et tous les organes de la société ont un rôle à jouer dans le respect des droits de l’homme ». L’Assemblée Générale des Nations unies la proclame comme « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer la mise en œuvre ».
Les collectivités locales ne sont pas moins concernées car les principes guidant l’instauration d’un État de droit et d’une gouvernance démocratique s’appliquent tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale. En s’en inspirant, les collectivités locales favorisent un meilleur accès aux droits des populations locales et améliorent in fine la qualité de leur vie.
Ainsi donc, pour sensibiliser à la prise en compte et à la protection de ces droits humains, les collectivités territoriales doivent inventer de nouvelles formes d’interventions qui peuvent se ramener à quelques principes unificateurs où le schéma «Agir local, penser global » constitue la matrice de nouvelles solidarités, de nouvelles coopérations et surtout de nouvelles modalités d’action ; ce qui leur permet principalement d’agir pour le droit des populations locales, de combattre les fractures territoriales et les inégalités sociales, de lutter contre les violences urbaines, de défendre le droit à l’environnement et à une écologie sûre et saine.
Une obligation légale et conventionnelle
Les collectivités locales sont, en effet, tenues de respecter et de mettre en œuvre les engagements internationaux pris par chaque État sur son territoire comme à l’étranger. Or, la plupart des États du monde, dont le Togo, ont ratifié la majorité des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’Homme, notamment le Pacte relatif aux droits civils et politiques et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Au Togo, la loi N° 2018-003 du 31 janvier 2018 portant modification de la loi N° 2007-011 du 13 mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales, reconnait les collectivités territoriales comme des acteurs de la coopération au développement dans le respect des engagements internationaux pris par l’État. Il en ressort donc qu’il pèse sur ces derniers une obligation de mise en œuvre au niveau local des engagements pris par l’Etat au niveau international et national matière des droits de l’Homme.
Au niveau international, l’Organisation des Nations unies n’a pas adopté de texte définissant directement la démocratie locale ou les conditions de son exercice. Sans doute, les diverses Chartes, Conventions et Pactes adoptés sous son égide proclament des droits reconnus aux hommes qui s’appliquent localement et dont la protection incombe à toutes les autorités locales. Mais il n’y a pas, à ce niveau, de consécration spécifique de droits de l’Homme local. Par contre, il est possible de citer des chartes élaborées par des organismes internationaux affiliés à l’ONU comme l’UNICEF qui a élaboré une Charte de Ville amie des enfants en 2002, et qui propose d’engager plus directement les autorités locales dans la protection des droits reconnus de l’enfant.
Au niveau national, plusieurs États, le Togo y compris, se sont dotés depuis quelques années de nouveaux instruments légaux de protection des droits de l’Homme au niveau local, que ce soit sous l’angle institutionnel ou sous l’angle des droits des habitants. Dans les droits locaux ainsi consacrés par la loi N° 2018-003 du 31 janvier 2018 portant modification de la loi N° 2007-011 du 13 mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales, et sans entrer dans ceux relatifs au fonctionnement même des institutions locales, figurent par exemple le droit d’information des habitants sur les actes des autorités locales, ou celui de participer aux décisions locales par le biais de consultations ; le droit de demander des comptes aux élus sur la gestion administrative et financière de la collectivité territoriale ; et de façon générale, toute la catégorie de droit socioéconomique et culturel que les communes sont amenées à garantir.
Le rôle des collectivités locales en matière de protection des droits de l’homme
Les droits et libertés consacrés au niveau local peuvent être regroupés en trois catégories : droits venant compléter ou réaliser les droits classiques au niveau national ; droits liés à la gouvernance des communes et à la prise de décision droits relatifs au bien-être et au bien vivre. On retrouve donc dans les attributions des collectivités locales des aspects des droits de l’Homme tels que l’éducation, la santé, la protection sociale, le droit à un environnement sain, le droit au logement et à un cadre de vie agréable, la jouissance des libertés publiques au niveau local, etc.
Ces droits, pour être réalisés, doivent faire alors l’objet de politiques spécifiques, et s’imposer à l’organisation et à l’activité des administrations et des services publics locaux. Il est aujourd’hui reconnu que la mise en œuvre de projets de développement et de coopération ne peut agir durablement en faveur des populations sans un travail parallèle sur la gouvernance démocratique, le respect de la règle de droit et les modalités qui permettent un accès effectif aux droits fondamentaux sur le plan local. Les pratiques locales en faveur des droits de l’Homme doivent être principalement fonction de la taille de la collectivité territoriale, de son poids démographique et de son statut. Au Togo, il faut que les pratiques favorables aux droits de l’Homme s’intensifient au sein des régions, préfectures, communes urbaines et rurales. Il est nécessaire que dans chaque collectivité locale, les droits de l’Homme soient mobilisés lors des débats publics, voire dans les textes administratifs. Par-delà les pratiques proprement dites, les élus locaux togolais doivent porter eux-mêmes un regard favorable sur le respect et la promotion des droits de l’homme et déterminer la trajectoire à suivre en la matière.
En un mot, la reconnaissance des collectivités territoriales doit être renforcée en tant qu’actrices fondamentales dans la garantie des droits humains en tant que prestataires de services publics ou responsables de politiques en matière d’éducation, de santé, de logement, etc.
Par AZIAMATE Yaovi,
Chercheur associé au Centre de Ressource du CDFDH