Koffi Elom NOUTEPE : « Notre souhait au Panel Watch est que toutes les institutions puissent jouer leurs partitions au-delà des personnes qui les incarnent ».
La nouvelle loi sur la liberté de réunion et de manifestation publique, adoptée et promulguée, ne cesse d’alimenter les débats au sein de l’opinion. Quelques jours après la communication des quatre rapporteurs spéciaux des Nations Unies, le Panel Watch livre son analyse de la situation.
De la violation de l’espace civique à la restriction de la liberté de manifestation publique, trois questions auxquelles à tenter de répondre le Commissaire en charge de la protection de l’espace civique au sein du Panel Watch, Koffi Elom NOUTEPE pour livrer l’analyse et les souhaits de ce regroupement d’experts pour une effectivité de la démocratie au Togo.
1- C’est quoi l’espace civique?
L’espace civique est le lieu, physique, virtuel et légal, au sein duquel les individus exercent leurs droits à la liberté d’association, d’expression et de réunion pacifique. En constituant des associations, en s’exprimant sur des questions à caractère public, en se rassemblant dans des forums en ligne et hors ligne et en participant à la prise de décisions publiques, les individus utilisent l’espace civique pour résoudre leurs problèmes et améliorer leur qualité de vie. Un espace civique robuste et protégé constitue la pierre d’angle d’une gouvernance responsable et réactive et de sociétés stables. « L’espace civique », représente, au regard de ce qui précède, un élément essentiel d’une démocratie dynamique ; où les débats et les discussions fleurissent, et où les individus sont en mesure de contribuer aux décisions importantes qui les affectent. Elle est composée de la liberté d’expression, la liberté d’association et de la liberté de réunion et de manifestation pacifique publique.
2- Au niveau du Panel Watch, quelle analyse faites-vous de la nouvelle loi qui fixe le cadre légal et opérationnel de l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifique publique ?
Comme vous le savez surement le Panel Watch a pour mission d’analyser la situation des droits de l’homme sur la base des standards internationaux mais aussi nationaux. En cela, même en ce qui concerne l’ancienne loi, le Panel a, à plusieurs reprises, manifesté son inquiétude relativement aux divers restrictions dont cette liberté fait objet notamment dans son volet opérationnel. A ce titre, et par des courriers et des rencontres de plaidoyer, avec les autorités, le Panel Watch a insisté auprès de ces dernières, sur la nécessité d’accorder plus de garantie à ce droit fondamental.
Relativement à la nouvelle loi, c’est presque une lapalissade d’affirmer qu’il s’agit d’une loi qui consacre un recul important en matière des droits de l’homme et surtout c’est une loi qui est contradictoire avec les engagements internationaux auxquels le Togo a souscrits. Les organisations de défense de droits de l’homme l’ont rappelé et les rapporteurs spéciaux des Nations Unies l’ont récemment confirmé. C’est un fait.
Au niveau du Panel Watch, nous faisons une analyse plus holistique. Nous considérons que cette loi confirme malheureusement encore une fois, la frilosité de nos institutions dans leur entièreté. Tenez-vous bien. Le premier niveau d’analyse est que cette loi a été votée à l’unanimité par les députés. Ce qui est tout à fait ahurissant pour notre jeune démocratie. Cela veut dire tout simplement que le schéma « majorité – minorité » qui caractérise les parlements du monde entier et qui fait évoluer le débat dans une démocratie, est soit inexistant dans notre pays soit n’a pas fonctionné sur une telle forfaiture.
Le second niveau d’analyse nous amène a remarqué que toutes les autorités investies du pourvoir de saisir la cour constitutionnelle pour le contrôle de constitutionnalité à priori de la loi n’ont pas réagi. Alors que c’est l’une des innovations qu’a apportées les dernières réformes institutions et politiques. L’article 104 dispose que le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, le président de la Haute autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, le Médiateur de la République, les présidents des groupes parlementaires, le président de la Cour suprême peuvent saisir la Cour constitutionnelle pour la constitutionnalité d’une loi. Ceci est d’autant plus important que l’histoire même des Cours constitutionnelles montre qu’elles ont été créés justement pour atténuer la toute-puissance des parlements, qui a un moment donné vote des lois qui incarnent tout, sauf la volonté du peuple de la volonté du peuple, et n’est en réalité que la vision de la majorité.
On aurait pu croire que ce mécanisme constitutionnel institué par la réforme du 08 mai puisse être activé dans le cadre de cette loi, surtout que visiblement elle viole de façon flagrante notre constitution. A titre de comparaison et pour mémoire, en 2009, le parlement de l’époque avait modifié une disposition du code électorale en supprimant un droit qui était jadis reconnu aux citoyens notamment celui de saisir directement le Président de la CENI. La Cour dans sa décision du 09 juillet 2009 avait affirmé que « en supprimant un droit fondamental précédemment reconnu aux citoyens, celui de saisir le Président de la Commission Électorale Local Indépendante pour corriger une erreur matérielle, le législateur enlève aux citoyens le droit de participer librement à la direction des affaires, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, reconnus et établis; qu’en la matière, il est de principe constitutionnel et pour la consolidation de l’Etat de droit, qu’une disposition nouvelle ne peut minorer les droits établis et reconnus».
Le législateur actuel, par le vote de cette loi nouvelle loi, non seulement viol un principe constitutionnel selon lequel, une disposition nouvelle ne peut minorer les droits établis et reconnus, mais aussi porte un coup sérieux aux fondements même de notre Etat de droit comme il en ressort du raisonnement de la Cour constitutionnelle.
3- Monsieur NOUTEPE, maintenant que la loi est promulguée, que faudra-t-il faire ?
Montesquieu disait que « pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Ainsi notre souhait au niveau du PANEL WATCH, est que toutes les institutions puissent jouer leurs partitions au-delà même des personnes qui les incarnent. Un Président disait vrai quand il affirme que l’Afrique n’a pas besoin d’homme fort mais d’institution forte ». Si toutes les institutions avaient joué le rôle que la constitution leur avait confié, on n’en serait pas là.
Maintenant pour répondre à votre question, il y a ce qu’on appelle le parallélisme des formes et des procédures. C’est le parlement qui a fait la loi, il est seul à la défaire sans épiloguer sur les diverses voies de disparition d’une loi.