Déclaration citoyenne sur le changement constitutionnel au Togo : le CDFDH, 5 ODDH et 21 leaders d’opinions font par de leurs inquiétudes
Le CDFDH et 5 organisation de défense des droits humains ainsi que des avocats, des juristes, des politologues, des journalistes et une diversité d’acteurs se prononcent sur le processus de changement constitutionnel au Togo
Au Togo, le processus visant à doter le pays d’une nouvelle Constitution fait réagir. Parmi les différentes réactions,6 Organisations de défense des droits de l’homme dont le CDFDH et des leaders d’opinions dont des avocats notamment l’avocat Jean Yaovi DEGLI, des anciens responsables d’institutions de la République notamment l’ancien président de la Cour Suprême Akakpovi GAMATHO, des juristes, des politologues, des fonctionnaires internationaux, des journalistes, des chefs d’entreprises, des acteurs de la société civile et différentes personnalités.
Voici l’intégralité de la déclaration citoyenne rendue publique par ces organisations, personnalités, et leaders d’opinion :
DECLARATION CITOYENNE
INQUIETUDES D’ACTEURS DES DROITS HUMAINS ET LEADERS D’OPINION SUR L’INITIATIVE DE CHANGEMENT CONSTITUTIONNEL AU TOGO
Lomé, le 04 avril 2024
Le processus de changement constitutionnel en cours au Togo suscite des inquiétudes légitimes parmi les défenseurs des droits de l’homme et les leaders d’opinion.
En effet, le contexte socio politique actuel ainsi que plusieurs aspects de la démarche de modification constitutionnelle soulèvent des interrogations profondes quant à son opportunité, sa légitimité, sa transparence et son respect des principes démocratiques fondamentaux.
Dans cette tribune, nous souhaitons exprimer nos vives préoccupations concernant ce changement précipité de notre loi fondamentale et appeler à une réflexion collective sur son caractère et ses implications.
A. Un contexte de fortes restrictions de l’espace civique et des libertés fondamentales
Les caractéristiques fondamentales d’un État de droit résident dans la garantie des droits et libertés individuels, ainsi que dans l’équilibre des pouvoirs pour éviter les abus de l’autorité. Cela suppose également la possibilité pour les citoyens de s’organiser librement pour participer à la vie de la nation, que ce soit par le biais d’associations de droits humains, de syndicats, de partis politiques ou de toute autre forme d’organisation civique.
Pourtant, au Togo, ces dernières années ont été marquées par un contraste flagrant entre les prévisions constitutionnelles et la réalité sur le terrain. Au lieu de favoriser l’expression citoyenne et la participation démocratique, l’Etat a procédé à l’adoption d’une politique de restrictions croissantes de l’espace civique. Les libertés de réunion, de manifestation et d’expression sont régulièrement entravées, limitant ainsi la capacité des citoyens à exercer leurs droits fondamentaux et à jouir de leurs libertés.
Cette tendance à restreindre les voies critiques à l’égard des autorités publiques s’est encore plus accentuée ces derniers mois, avec des interdictions répétées de rassemblements pacifiques et des arrestations arbitraires de militants politiques, de journalistes et de membres de la société civile. Les associations et entités critiques à l’égard de ces autorités sont particulièrement visées, souvent stigmatisées et limitées dans leur travail de protection des libertés individuelles.
Cette situation a commencé, non seulement à saper la confiance des citoyens dans la capacité de l’Etat à leur offrir des garanties de protection et de réalisation des droits fondamentaux, mais aussi à miner les fondements de l’État de droit et de la démocratie.
B. Circonstances particulières de la procédure de modification constitutionnelle
L’effectivité de la jouissance des droits et libertés individuels est le fondement même de tout système politique démocratique. Mais les circonstances entourant la récente procédure de modification constitutionnelle au Togo suscitent de vives inquiétudes quant à la garantie de ces droits fondamentaux.
1) Le fait que cette procédure ait été initiée par des députés dont le mandat est arrivé à terme soulève des questions fondamentales sur la légitimité démocratique de ce processus. En fin de mandat et donc moins responsables devant les électeurs, ces députés ne peuvent plus représenter pleinement la volonté populaire, ce qui remet en question la légitimité de leurs actions, notamment dans un domaine aussi crucial que la modification substantielle de la Constitution.
2) L’absence de débats de fond et de participation pluraliste dans l’élaboration de cette révision constitue une autre source de préoccupation majeure. Un changement aussi significatif de la loi fondamentale devrait normalement être précédé d’un large débat national, impliquant toutes les parties prenantes de la société togolaise. Or, le processus en cours n’a été précédé d’aucune véritable consultation publique, privant ainsi les citoyens de leur droit à être pleinement informés et à participer activement à cette démarche décisionnelle déterminante dans la vie de leur nation.
3) La précipitation avec laquelle cette révision a été engagée, ainsi que le manque de clarté sur le processus lui-même, renforcent les soupçons quant à la volonté réelle des autorités de garantir la transparence et l’intégrité du processus démocratique. L’absence d’information claire sur la feuille de route proposée, le manque de consultations ouvertes et inclusives, ainsi que le fait que le texte complet de la nouvelle proposition constitutionnelle ne soit pas à la disposition du public sapent la confiance du public dans le processus et alimentent les craintes d’une énième crise sociopolitique.
Ainsi, loin de rassurer les citoyens quant à la protection de leurs droits et libertés, les circonstances entourant la procédure de modification constitutionnelle soulèvent plutôt des interrogations sérieuses quant à l’engagement de l’Etat envers les principes démocratiques et l’État de droit.
C. Imprécision sur le contenu et implications sur les droits fondamentaux
Outre les préoccupations liées aux circonstances de la procédure de modification constitutionnelle, l’imprécision sur le contenu de la nouvelle proposition constitutionnelle et ses implications sur les droits fondamentaux suscitent également des inquiétudes légitimes.
1) Le manque de clarté quant aux dispositions spécifiques de la nouvelle constitution laisse planer un doute sur les droits et libertés qui pourraient être affectés. La suppression des garanties fondamentales des droits humains du texte principal et leur relégation à une « charte des droits et devoirs » annexée, dont le contenu reste inconnu du public, constitue également une source majeure de préoccupation. Cette opacité compromet sérieusement la capacité des citoyens à évaluer les implications réelles de la révision constitutionnelle sur leurs droits et libertés.
2) Remise en question du droit des Togolais à choisir leur président de la République au suffrage universel constitue un recul démocratique significatif.
Les nouvelles dispositions remettent en cause toute la constitution togolaise de 1992 avec la possibilité qu’avait le peuple de choisir son Président directement au suffrage universel. Et cet acquis renforcé par l’article 59 al 2 ne peut raisonnablement être modifié que par ce peuple lui-même par voie référendaire.
3) L’absence de garanties quant à la mise en œuvre des recommandations de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), notamment en ce qui concerne la création des conditions pour l’alternance politique, compromet la crédibilité du processus de révision constitutionnelle et fragilise ainsi le processus de réconciliation nationale et l’architecture de paix en cours au Togo. Ces recommandations, faut-il le rappeler, étaient censées favoriser une réconciliation durable et renforcer la démocratie. Elles semblent être reléguées au second plan, ce qui soulève des doutes quant à l’engagement réel de l’Etat pour la création des conditions d’une réconciliation durable dans le pays.
D. Appel à un débat national inclusif et transparent
Face aux préoccupations légitimes soulevées par les circonstances et les implications de la procédure de modification constitutionnelle en cours au Togo, il est impératif de promouvoir un débat national inclusif et transparent.
La garantie des droits humains implique non seulement le respect des libertés fondamentales, mais aussi le droit pour les citoyens de participer activement à la vie de la nation, de faire des choix éclairés et d’exercer une influence sur les décisions qui les concernent. Cela suppose que l’État informe et consulte régulièrement les citoyens, et que les représentants élus rendent compte de leurs actions et de leurs décisions.
Dans cette perspective, un débat national inclusif et transparent est essentiel pour favoriser la participation citoyenne et garantir la légitimité et l’acceptabilité de toute réforme constitutionnelle. Il est nécessaire d’impliquer toutes les grandes composantes des corps constitués, y compris les universitaires de tous bords, les ordres professionnels, les leaders traditionnels et religieux, les associations et regroupements de femmes, de jeunes, ainsi que les clubs culturels et autres entités représentatives de la société togolaise.
Un tel processus permettrait de clarifier les enjeux et les implications de la révision constitutionnelle proposée, de favoriser la compréhension mutuelle entre les différentes parties prenantes et de promouvoir la confiance dans le processus politique. Les discussions devraient porter sur des questions essentielles telles que le respect des droits de l’homme, la garantie de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit et la promotion de la démocratie.
En outre, un débat national approfondi serait l’occasion pour les citoyens d’exprimer leurs préoccupations, leurs aspirations et leurs visions pour l’avenir du pays. Il permettrait également de renforcer la responsabilité des représentants de l’État envers leurs concitoyens et de promouvoir une culture démocratique participative au sein de la société togolaise.
Par conséquent, nous lançons un appel aux autorités togolaises à organiser un débat national inclusif et transparent sur la nécessité de la révision constitutionnelle en cours, afin de garantir la légitimité, la stabilité et la pérennité des institutions démocratiques du Togo. Le report des élections pour permettre à l’Assemblée Nationale dont le mandat est arrivé à terme depuis …ne nous parait la solution la mieux adaptée
E- Un Appel à la responsabilité face à l’Histoire
Devant l’ampleur et les implications de la réforme constitutionnelle proposée au Togo, nous, défenseurs des droits humains et leaders d’opinion, avons jugé nécessaire de soulever nos vives inquiétudes quant au processus en cours.
Face à cette situation, nous en appelons au Chef de l’État togolais de tout mettre en œuvre pour garantir que tout processus de modification constitutionnelle se déroule dans la sérénité et le respect des principes démocratiques. Il est essentiel que les droits et les voix de tous les citoyens togolais soient pris en compte, et que toute réforme constitutionnelle soit le fruit d’un débat inclusif et transparent.
Nous lançons donc un appel à la responsabilité face à l’histoire.
Les décisions prises aujourd’hui auront des répercussions durables sur l’avenir du Togo et de ses citoyens. Il est de notre devoir, en tant que défenseurs des droits humains et leaders d’opinion, de veiller à ce que ces décisions soient prises dans l’intérêt supérieur du peuple togolais et dans le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux.
Nous exhortons toutes les parties concernées à faire preuve de responsabilité, de retenue et de dialogue pour garantir un processus démocratique et légitime, et pour assurer un avenir de paix, de stabilité et de prospérité pour le Togo et ses citoyens.
Nous exhortons vivement le Chef de l’État, garant de l’indépendance et de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale, du respect de la Constitution (…), comme le stipule l’article 58 al 1, de la constitution en vigueur, à sursoir à ce processus de changement de régime en cours par sa non-promulgation. Ce faisant, le Chef de l’État, confirmera son rôle d’acteur de paix, dont il fait preuve depuis quelques moments dans la sous-région ouest africaine, en alliant sagesse et perspicacité.
Dans l’unité nous voulons servir, notre Togo. C’est bien là de nos cœurs, le plus ardent désir.
Togolais vient, bâtissons la cité !
Associations et ONG:
- Centre de Documentation et de Formation sur les Droits de l’Homme (Esso-Dong Divin Aymard Kongah, Directeur Exécutif)
- Centre pour la Gouvernance Démocratique et la Prévention des Crises, Dibo Nouhou, Président
- Coalition Togolaise des Défenseurs des Droits de l’Homme (CTDDH), Bonaventure N’Coué Mawuvi (Président)
- Groupe de Réflexions et d’Action Femme, Démocratie et Développement (Mme Michèle Aguey, Secrétaire général)
- West Africa Network for Peace Building, Seyram Adiakpo, Coordinateur national a.i
- Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains, Mélanie Sonhaye-Kombate, Directrice des Programmes et Plaidoyer.
Personnalités et leaders d’opinion :
- André Kangni Afanou, Juriste
- Akakpovi Gamatho, Juriste
- Bakafitine Banque, Juriste
- Me Guillaume Kodjovi Aba, avocat
- Me Jean Yaovi Degli, Avocat
- Me Ferdinand Amazohoun, Avocat
- Ambroise Dagnon, Journaliste
- Bénigan Kwami Syril AGBLEGOE, Juriste
- Hombe B. Kafechina, juriste, fonctionnaire international
- Gbekou Yawo, Chef d’entreprise
- Florence Guede, Consultant
- Balakiyem Gnazouhoufei, Juriste
- Mahoule Kodzo Spéro, Juriste
- Pascal Edoh Agbove, Acteur de développement, Directeur de l’ONG IJD
- Marcel Hiheglo Ameble, Pasteur
- Bernard Alognon, Anthropologue et Communicateur
- Carlos Souleyman Tobias, Journaliste
- Mohammed Madi Diabakate, Politologue Essayiste
- Rodolph Tomegah, Journaliste
- Albert Agbeko, Journaliste
- Dieudonné Raoul Djedi, Juriste Politiste